Tuchel, si peu séduisant

Annoncé comme concurrent à Manchester City et Liverpool avant le début de la saison, Chelsea se situe à dix-neuf et dix-huit points des leaders de Premier League avant la dernière journée. Peu flamboyant dans le jeu, malgré un effectif immense, les Blues ont connu différents épisodes compliqués cette saison qui ont accentué une idée tactique inadéquate pour tirer le meilleur de cet effectif. L’évènement Romelu Lukaku d’abord, qui a électrisé un vestiaire de stars, puis la vente d’un club qui vient enfin de prendre forme et qui a duré de longues semaines. Roman Abramovitch n’est plus le propriétaire du club londonien, et Todd Boehly s’est installé comme le nouvel homme fort du club. Aucun changement n’est annoncé pour le moment, mais il semble évident que la patience du nouveau propriétaire trouvera rapidement ses limites.

« L’année prochaine nous lutterons pour le titre avec Manchester City et Liverpool », cette phrase prononcée par Thomas Tuchel à l’issue d’une saison qui l’a vu débarquer en plein milieu tendait à montrer que les certitudes étaient grandes du côté de Chelsea. La saison passée était celle de l’adaptation en Premier League, et le sacre acquis en Ligue des Champions a conforté l’entraineur allemand dans ses choix tactiques. Quelle est l’idée de jeu et la vision du football de Thomas Tuchel d’ailleurs ? Impossible à cerner lorsqu’il dirigeait le Paris Saint-Germain puisqu’il a utilisé différents schémas tactiques, l’idée de jeu du technicien est désormais plus lisible. Un 3-4-3 qui n’a quasiment jamais bougé chez les Blues, et donc une défense avec trois défenseurs centraux, un joueur dans chaque couloir, deux milieux de terrain axiaux et deux joueurs plus libre derrière un autre joueur. Et c’est ici un point important puisque le joueur évoluant en pointe et étant censé être un attaquant de point est en réalité un milieu offensif. Vainqueur dans ce schéma en Coupe, Tuchel est persuadé que c’est ainsi qu’il va réussir à rivaliser avec City et Liverpool pourtant les schémas tactiques des deux entraineurs des clubs précédemment cités ne sont absolument pas les mêmes. Les deux évoluent avec un 4-3-3 plutôt simple mais très bien organisé, et qui occupe parfaitement toutes les zones du terrain. Il faut que Thomas Tuchel arrive à expliquer quel exemple peut-il avoir en tête, quelle équipe dans l’histoire du football, est parvenue à atteindre le potentiel maximum de son jeu avec un schéma en 3-4-3. Absolument aucun club n’a installé ce schéma dans la durée tout en réussissant le tour de force de dominer un championnat totalement. Le Bayern Munich, Champion d’Allemagne depuis 10 ans, est passé proche de la catastrophe avec ce schéma en Bundesliga.

Il faut y voir ici une preuve d’une absence totale de modestie, de remise en question, et de volonté de mettre en avant ses joueurs plutôt que sa personne. Mais en réalité Thomas Tuchel n’est que le produit d’un football professionnel qui allait de plus en plus dans ce sens plutôt que dans le bon. Les choses semblent évoluer, et la question a le droit d’être posée à Thomas Tuchel. Dans une Première League qui ne peut tolérer les erreurs de jugement, due à sa qualité, l’approche de l’entraineur allemand a dénoté dans un premier temps. Avant d’étonner. Avec une idée de jeu sans réel attaquant de pointe, l’arrivée d’un joueur comme Romelu Lukaku en provenance de l’Inter contre quelques 120 millions d’euros, c’est toute la gestion de Tuchel qui s’est matérialisée et l’attaquant a rapidement compris que malgré son unique profil de buteur dans l’effectif, malgré ses 30 buts inscrits en Italie la saison d’avant, il ne pourrait pas changer les idées arrêtées de son coach, qui a commencé à le titulariser constamment sur la fin de saison. Pourtant, Chelsea qui évolue déjà dans un schéma qui n’est pas le bon aurait tout intérêt à incorporer un véritable attaquant de pointe et les rumeurs concernant l’intérêt du club pour Robert Lewandowski vont dans ce sens. Cela est bien sur toujours possible avec Lukaku, mais en réalité l’attaquant belge a peut-être senti que le contexte tactique actuel ne lui permettrait pas d’atteindre son plein niveau. Il a déjà évolué avec une défense à 3 éléments centraux et deux latéraux, à l’Inter, mais il jouait en pointe accompagné d’un deuxième attaquant avec Lautaro Martinez. Et même à L’Inter, l’absence d’un meneur de jeu en soutien des deux attaquants s’est longtemps fait sentir avant d’incorporer Christian Eriksen.

Pour en revenir à Chelsea et son plan de jeu, il ne devrait à priori pas évoluer la saison prochaine puisque Tuchel ne veut pas évoluer. C’est pourtant le travail demandé à un entraineur et s’il doit bénéficier de temps, son nouveau patron pourrait aussi avoir envie d’imposer une autre patte assez rapidement l’année prochaine.

Chelsea, un effectif armé pour le titre en Premier League

Malgré des recrutements faramineux, malgré des postes doublés partout, Chelsea n’est toujours pas parvenu à se hisser au niveau qui doit être le sien. D’un point de vue très personnel, le schéma tactique mis en place est celui qui correspond pour fermer les espaces en Coupe, et le fait que le club brille plutôt dans ces compétitions n’est absolument pas une surprise. Le fait de ne pas réussir à marquer en finale non plus, car les espaces se ferment. Un autre schéma avec une défense à 4 éléments à plat, un milieu à 3 composé de Ngolo Kanté ou Jorginho, et Kovacic – Havertz un cran plus haut, deux ailier avec Pulisic et Zyech, et une pointe avec Lukaku est une solution qui me plait. Idem, un schéma différent en 4-4-2 en rapprochant un joueur de Lukaku dans l’axe (Ziyech ou Pulisic ou Werner) avec des ailiers différents est une autre solution alléchante. En réalité, Tuchel n’en a que faire puisque c’est son idée et la seule qui va faire gagner la Premier League à Chelsea. Les faits sont têtus.

Un autre élément important de la vision footballistique de Tuchel concerne la capacité à vouloir la maitrise d’un match par la possession. C’est ici un facteur qui a légèrement évolue, tout comme la hauteur de son bloc équipe qu’il semble désormais vouloir maitriser, mais lorsque City ou Liverpool entrent sur le terrain c’est dans le but d’avoir une maitrise totale de la rencontre par la possession et le jeu de position haut sur le terrain de ses joueurs. Ce n’est pas la dernière anomalie puisque l’analyse des profils individuels et des postes pour Tuchel est une plaisanterie. Je me permets de le dire comme ça car lorsque Saul est positionné latéral gauche, que Zyech est positionné latéral droit, que Havertz est positionné en point, nous sommes en droit de nous demander si l’entraineur allemand ne joue pas à la loterie avant chaque composition. Avec ces enjeux financiers la question est drôle.

Plus de logique dans les schémas collectifs, plus de logique dans le positionnement individuel de ses joueurs, qu’il a perdu en cours en route, et Chelsea pourra alors retrouver les sommets de la Premier League. Lorsque l’on a la chance d’avoir un patron aussi amoureux du football, que ce soit l’ancien ou visiblement le nouveau, il est absolument interdit de ne pas lui rendre la pareille en s’impliquant corps et âmes dans la qûete de performance de son équipe. Cela passe visiblement par quelques millions d’euros pour le coach, mais surtout pas une capacité à comprendre comment le football évolue. Ce qui n’est pas le cas actuellement. Concrétement, City a marqué 96 buts, Liverpool 94, et Chelsea 74. Je ne sais pas qui a décrété que le football était défensif mais il s’est planté.

Des éléments contraires ont perturbé la saison des Blues, et le rachat du club aura évidemment été une cause de distraction non négligeable. Les joueurs ne peuvent plus se focaliser sur l’enjeu sportif uniquement, et il est délicat d’avancer dans un but commun puisque l’avenir de chacun est en question. Mais à vrai dire, les lacunes tactiques sont plus importantes qu’un contexte qui s’arrange, et qui ne doit plus désormais être la raison de mauvais résultats. Sinon, le prochain entraineur se fera un plaisir de lutter pour le titre en Premier League, peu importe d’où il vient.

Emmanuel Trumer