Angleterre, matière non exploitée

Avec un vivier de joueurs assez exceptionnel, la sélection anglaise est attendue comme un favori lors de chaque tournoi international. Pourtant, l’équipe de Gareth Southgate ne parvient pas à concrétiser cette matière individuelle par un trophée. Depuis 1966, une éternité absolue et date du seul et unique sacre mondial, les déceptions sont nombreuses. Les explications sont multiples.

Comment le premier championnat de la planète football, celui qui est le plus en vue et que tous les joueurs regardent d’un œil admiratif, peut aboutir sur une sélection nationale qui ne parvient pas à remporter de trophée ? La question mérite d’être posée et même si le contexte de club est complétement différent de celui qui existe en sélection, c’est tout de même une anomalie notable. En réalité, les explications sont nombreuses et la Premier League avance aujourd’hui au rythme des joueurs et coachs venus des quatre coins du globe.

Il faut se focaliser sur ces derniers essentiellement (les entraineurs), car la plupart des joueurs anglais évoluent en Premier League. Et d’ailleurs, nous le verrons, le problème ne se situe absolument pas dans la matière présente, dans les individualités, car l’Angleterre possède l’un des meilleurs effectifs sur l’échiquier mondial. Mais ce championnat de Premier League avance au train des idées internationales : les six clubs qui ont terminé en tête du classement lors de la saison 2021-2022 sont dirigés par des entraineurs qui ne sont pas Anglais. Deux techniciens espagnols (Guardiola – Arteta), deux techniciens allemands (Klopp – Tuchel), un technicien italien (Conte), et un technicien hollandais pour Manchester United désormais (Erik Ten Hag). L’Angleterre, qui a si souvent été pionnière en matière d’idée de jeu, d’organisation sur le terrain, n’a aujourd’hui plus aucune idée de jeu qui lui est propre.

Le sélectionneur anglais, Gareth Southhate, est la vitrine d’un magasin vide de sens. Sur le banc des Three Lions sans avoir aucune certitude personnelle, sans savoir même s’il aime le foot et donc aucune garantie sur la manière dont il veut faire évoluer son équipe et ses joueurs pourtant pétris de talent. La sélection anglaise se rassure elle-même et seule avec un sélectionneur lisse qui n’a pas les idées pour mener cette équipe vers les sommets. Tandis que l’Espagne a mis en place un système de jeu précis, tandis que l’Italie a profité d’une idée de jeu différente mais tout aussi identifiable, alors que l’Allemagne s’est appuyé sur des préceptes tactiques forts, que l’Argentine trouve aujourd’hui une cohérence collective qui permet à ses individualités de s’exprimer, que la France a gagné grâce à un mélange d’organisation et de talent, l’Angleterre a quant à elle abandonné toute avancée dans le domaine du jeu qu’elle a pourtant inventé. Le temps du « kick and rush » est lointain, et il est strictement impossible de dire aujourd’hui quelle est la volonté de Gareth Southgate avec ses joueurs.

Au petit bonheur la chance

Sans un système tactique qui se détache, le sélectionneur anglais alterne constamment entre une défense à cinq éléments et un autre schéma à quatre éléments mais le plus problématique réside dans la manière de faire évoluer ses joueurs et les consignes données sont très floues. En plus de n’avoir aucune confiance en ses joueurs qu’il ne maintient pas trois matches de suite sauf peut-être Maguire. Est-ce un entraineur qui veut avoir la possession du ballon ? Est-ce un entraineur qui préfère profiter des espaces en transitions ? Est-ce un entraineur qui possède une quelconque conviction dans ses propres schémas ? Dans l’analyse de celui des adversaires ? Il est strictement impossible de le dire après plusieurs années et cette donnée est franchement problématique. Un jeune entraineur pourrait tenter plusieurs choses, rapidement, pour comprendre concrètement ce qui peut mener au succès de son équipe ou non, mais Gareth Southgate n’en est plus là et son équipe lui ressemble désormais en portant un nom : l’incertitude.

A l’instar d’un sélectionneur comme Didier Deschamps depuis un moment, Southgate n’a pas compris que les adversaires évoluent avec une idée de jeu forte, puissante, et que seuls ceux qui pataugent dans un océan d’incertitudes restent à quai. Pourtant, la sélection des Three Lions possède parmi les meilleures individualités au monde : Kane – Grealish – Alexander-Arnold – Foden – Mount – Saka – Bellingham pour ne citer qu’eux, mais le manque de confiance envers les jeunes joueurs rend le tableau assez vilain. A ce rythme, des sélections sur armées pourraient passer à la trappe lors du prochain Mondial qui approche à grand pas, et dans un monde professionnel qui laisse très peu de places aux non habitués la victoire d’une Nation moins armée mais mieux organisée pourrait être envisageable.

Comment est-il possible de ne pas avoir de conviction ? De ne pas avoir la volonté de transmettre une idée et un chemin à suivre à ses joueurs ? De se contenter d’une présence physique sur un banc qui n’apporte rien ? Toutes ces questions sont légitimes aujourd’hui et même si cela est totalement anormal il s’agit pourtant de l’évolution concrète et perceptible de certaines nations et l’Angleterre n’est pas une exception. La France, qui n’est pas parvenue à gagner une seule de ses quatre dernières rencontres, l’Italie éliminé de la course au Mondial par beaucoup moins fort sur le papier, l’Espagne qui peine à regagner un titre international, sont des nations de football qui ont un temps pu bénéficier de l’apathie générale mais qui souffrent aujourd’hui de cette incapacité à évoluer, à comprendre le football moderne. Un danger, une frustration, qui trouve un écho intéressant chez des sélections qui ont compris comment avancer, qui tentent de provoquer les choses avec un cerveau et des méthodes concrètes. Le football a changé, et sans des entraineurs capables de le comprendre alors le risque est grand.

Emmanuel Trumer