Manchester City, l’ogre tant attendu ?

Avec quatorze points d’avance en tête de la Premier League, Manchester City est en train de s’imposer comme le futur Champion d’Angleterre. En profitant parfaitement de la méforme de ses concurrents, mais également en ayant réussi à hausser son niveau de jeu, les hommes de Pep Guardiola peuvent espérer une fin de saison riche en trophées. La série de vingt et une victoires consécutives toutes compétitions confondues a certes pris fin face au rival Manchester United, mais le coup d’arrêt a été de courte durée avec un groupe qui a immédiatement relancé la machine. Une équipe qui a la particularité de jouer sans réel avant-centre, et qui doit donc trouver d’autres solutions pour régner. 

Dans n’importe quelle autre équipe, l’absence d’un buteur de métier serait considéré comme une abération mais le Manchester City de Pep Guardiola n’est pas n’importe quelle équipe puisque l’entraîneur espagnol est coutumier du fait. Encore en course pour réaliser un quadruplé en fin de saison, Guardiola n’en est pas à son coup d’essai puisqu’il a déjà évolué ainsi dans ses années barcelonaises, par séquences, et également en Bavière à la tête du Bayern Munich. Avec Messi en Catalogne, puis avec Thomas Muller à Munich à qui il avait demandé de redescendre assez bas sur le terrain pour participer au jeu.

Dans les faits, un faux numéro 9 qui doit libérer des espaces pour deux ailiers qui rentrent dans l’axe, mais à City cette idée s’est encore développé un peu par obligation et un peu par obsession. Globalement, la vision du foot de Guardiola ne change pas. Ses principes sont marqués depuis ses débuts avec la volonté irrépressible d’avoir la possession du ballon, ce qui est un beau concept sur le papier mais qu’il faut pouvoir mettre en place grâce aux bons ingrédients. Un schéma tactique qui change peu, voir jamais, et tant mieux à vrai dire puisque lorsque c’est le cas le résultat peut interroger. Un 4-2-3-1 inamovible donc, mais la cohérence avec les principes de jeu se trouve dans le choix des joueurs alignés avec la volonté de présenter des hommes dont la qualité première est d’être à l’aise techniquement avec le ballon.

Alors bien sûr, et c’est un point important, Guardiola dispose d’un effectif exceptionnel bâti à coups de centaines de millions par le propriétaire émirati, mais l’entraîneur privilégie toujours la capacité à jouer avec ballon plutôt que le reste. Que ce soit avec Kevin De Bruyne, Phil Foden, Bernardo Silva, Ryad Mahrez, Ferran Torres, mais également Ilkay Gundogan un cran plus bas et même Rodri pourtant dévoué au rôle de récupérateur, tous ont comme point commun un profil qui tend vers la possession du ballon grâce à cette capacité à le faire circuler, à jouer rapidement sans déchet, et à étouffer l’adversaire dans sa moitié de terrain. Si cette caractéristique ne suffit pas pour dominer la possession d’un match, c’est par le jeu de position, qui est littéralement le positionnement moyen de ses joueurs sur le terrain, que Guardiola assoit sa domination. Un bloc haut (tous les joueurs ont pour consigne d’évoluer dans le camp adverse), agressif à la perte du ballon pour le récupérer le plus vite possible et une exigence physique dans les effort et les courses assez proche de celle de Marcelo Bielsa.

Bielsa – Guardiola, des points communs et une vision partagée

Un entraîneur que Pep Guardiola aime encenser et avec qui il partage cette vision du foot. Dans ce domaine de maitrise d’un match, nous avons certainement ici les deux entraîneurs les plus doués de la planète football, les plus intelligents. Deux entraîneurs tournés vers un football offensif, mais qui ont tout de même quelques différences notables. Tandis que Bielsa aime avoir un buteur de métier, et qu’un pur 9 se régale sous les ordres du technicien argentin (Gignac période OM, Bamford période Leeds), Guardiola évolue quant à lui avec un milieu offensif au poste d’attaquant. Parfois avec Bernardo Silva, parfois avec Sterling, Guardiola accentue encore un peu plus cette volonté de maitriser ses matches d’un point de vue technique, quitte à délaisser cette capacité si particulière à un numéro 9 de terminer les actions et de peser dans la surface de réparation adverse. Pour pallier à cela, Guardiola demande à ses milieux de terrain de se projeter en nombre et ce n’est pas anodin si Ilkay Gundogan est actuellement le meilleur buteur de City en 2021 tant ses courses vers l’avant sont nombreuses. Un choix dicté par l’obsession du Catalan pour la possession, mais également par le faible niveau de Gabriel Jésus.

Si Manchester City est aujourd’hui une équipe plus solide défensivement grâce à l’arrivée de Ruben Dias, le secteur offensif semble tout de même légèrement moins effrayant qu’il n’a pu l’être par le passé, notamment lorsque Sergio Agüero trônait à la pointe de cette attaque. Un temps révolu où le Kun était en pleine possession de ses moyens, et même si aujourd’hui le dispendieux patron de Guardiola lui proposait une solution comme Erling Haaland, Harry Kane, ou Romelu Lukaku, Guardiola ne serait peut-être pas convaincu. La capacité à combiner avec ses partenaires dans les petits espaces, la capacité à proposer des solutions au porteur du ballon par de nombreuses courses, la capacité à faire jouer ses coéquipiers sont des préceptes bien plus précieux dans l’esprit de Guardiola qu’une présence physique et un sens du but.

Des lubies que l’on pardonne volontiers, pour un entraîneur dont la perception du football reste l’une des plus séduisantes de la planète. Une culture du jeu, du mouvement, du spectacle, encore malheureusement étrangère au football français, au football en France devrais-je dire.

Emmanuel Trumer