Griezmann, où est le problème ?

Arrivé l’été dernier en Catalogne en provenance de l’Atletico Madrid pour franchir un palier, Antoine Griezmann peine à s’imposer au sein d’un vestiaire pas toujours acquis à sa cause et dans un schéma tactique où ses qualités sont diluées. Le Champion du monde sait qu’il a encore du temps, mais son profil doit être mieux compris pour en tirer sa quintessence. Alors où est le problème ? Griezmann peut-il s’imposer à Barcelone ? Éléments de réponse.

Pour tenter d’appréhender Antoine Griezmann et son évolution, il faut certainement remonter à ce soir du 26 juin 2016 lorsqu’au Parc OL les Bleus de Didier Deschamps viennent péniblement à bout de l’Irlande en 8e de finale. Installés dans un 4-3-3 habituel, avec Antoine Griezmann sur le côté gauche et Olivier Giroud en pointe de l’attaque, les Tricolores ont longtemps buté sur une équipe irlandaise regroupée dans sa moitié de terrain et qui a pu ouvrir le score très tôt dans la rencontre grâce à un penalty. Un scénario catastrophe sur le papier, mais à la pause de cette rencontre Antoine Griezmann amorce alors lui-même ce qui sera peut-être l’un des tournants de sa carrière personnelle et également les bases collectives du futur titre de Champion du monde des Bleus en 2018. Dès le retour des vestiaires, Didier Deschamps opte pour un changement tactique important avec la sortie d’un milieu de terrain en la personne de N’golo Kanté et l’entrée en jeu de Kingsley Coman dans le couloir gauche. Du 4-3-3 classique, Deschamps passe alors au 4-4-2 et la raison est alors assez simple puisque dans l’intimité du vestiaire et le temps de la pause, Griezmann a glissé à l’oreille du sélectionneur français cette hypothèse. Peu trouvé dans son couloir gauche, trop éloigné de son numéro 9 Olivier Giroud, Griezmann demande clairement à Deschamps de le repositionner dans l’axe et de se servir d’Olivier Giroud comme point d’appui pour lui permettre de trouver des espaces et pouvoir toucher davantage de ballons, notamment dans la surface de réparation adverse. Un premier coup de génie qui va trouver un écho seulement quelques minutes plus tard lorsque Griezmann est trouvé de la tête sur un centre parfait, puis lorsque Giroud dévie un ballon de la tête pour offrir le doublé à son partenaire trois minutes plus tard. Déchainé, libéré, Griezmann provoquera même l’expulsion d’un joueur irlandais dans la foulée, et aura plié cette rencontre en l’espace de huit minutes seulement.

Âgé de 25 ans à cette époque, Griezmann n’est alors pas encore le potentiel ballon d’or qu’il deviendra quelques années plus tard mais nul doute que cette nuit de juin 2016 aura contribué à faire éclore le talent d’un joueur souvent décrié et pourtant si précieux de par ses qualités. Techniquement d’abord, Antoine Griezmann est le leader incontestable de ses équipes dans le domaine offensif, avec une qualité balle au pied que peu de joueurs peuvent se targuer d’avoir, la capacité de tirer les coups de pied arrêtés bien entendu, mais également un volume de course assez impressionnant avec cette capacité à multiplier les efforts sur toutes les zones du terrain. Même s’il a longtemps évolué dans le couloir gauche, à la Real Sociedad notamment, Griezmann est alors devenu un attaquant redouté et capable de faire basculer une rencontre sur un geste. Un profil qu’il a toujours eu, mais qui aura trouvé une constante implacable avec Diego Simeone à l’Atletico Madrid dans son schéma en 4-4-2 et donc en Bleu, grâce à l’Irlande quelque part mais également grâce à cette intelligence tactique qui en fait un élément tout particulier.

Simeone, l’accélérateur 

Élevé à la sauce basque, c’est à Madrid et plus précisément à l’Atletico sous Diego Simeone que Griezmann est devenu cette machine redoutable à marquer, à organiser, et à courir.  Une icône des Colchoneros avec lesquels Griezmann aura tout connu ou presque, et malgré des titres au palmarès (Europa League en 2018, SuperCoupe d’Europe en 2018) Griezmann et son Atleti se sont souvent heurtés aux mastodontes que sont le Real Madrid et le FC Barcelone comme lors de la finale de Ligue des champions en 2016 ou lorsqu’il termine second de Liga en 2018 et 2019. C’est également à Madrid que Griezmann va s’assoir à la table des plus grands avec une 3e place au Ballon d’Or 2016. Une prouesse mais qui ne suffit pas à Grizou avec un gout d’inachevé qui va le pousser à signer pour l’ennemi catalan l’été dernier, en faisant jouer sa clause libératoire. Un choix qui peut se comprendre pour un joueur de 29 ans désormais, et qui souhaite garnir encore davantage son armoire à trophées. Un choix délicat néanmoins puisque Griezmann a débarqué dans un vestiaire plutôt hostile à sa venue et qui ne l’a pas caché même publiquement, tandis que le débat sur son entente avec le sextuple ballon d’Or et légende vivante du FC Barcelone Leo Messi ne cesse d’être ravivé.

Je l’avais déjà évoqué pour le cas de Paulo Dybala et de la sélection argentine que le joueur de la Juventus ne côtoie que pour faire du tourisme, avec un profil trop proche de la star, un profil qui pourrait faire gagner son équipe et qui ne colle pas avec l’état d’esprit du capitaine. C’est ici un sujet dangereux puisque critiquer Leo Messi revient à remettre en cause toute la structure du club catalan, comme celle de la sélection argentine, mais il est pourtant nécessaire d’en parler pour tenter de faire évoluer les choses. Attention, il ne s’agit pas de mettre la faute du contre temps Griezmann sur les épaules du seul Messi, dans un vestiaire qui plus globalement attendait le retour de Neymar en lieu et place du Champion du monde français, mais à plusieurs reprises les maux d’une équipe qui ne doit tourner qu’autour de son génie argentin sont apparus flagrants. Dans le 4-3-3 du Barca, Griezmann joue à gauche lorsque Suarez évolue en pointe et Messi entre le côté droit et l’axe, mais même lorsque le buteur uruguayen est blessé sur une longue durée comme cela a été le cas avant l’arrêt des compétitions c’est alors Messi qui occupe de la pointe de l’attaque délaissant son partenaire français sur un côté gauche qui le restreint. Quelles solutions existent me direz-vous alors ? Valverde les a cherché sans les trouver, en utilisant un 4-4-2 dont il ne maitrisait pas forcément tous les rouages tactiques, notamment dans les replis défensifs, puis désormais c’est au tour de Setien de se casser la tête sur une organisation qui ne peut pas trouver son rythme de croisière sans certaines concessions.

Il y a tout d’abord une volonté à créer, celle d’évoluer ensemble pour deux joueurs qui pourraient faire des ravages mais qui ont décidé, tout du moins d’un côté, que la lumière ne passerait que par Messi. En l’absence de Luis Suarez et plutôt que de changer de schéma sur la durée avec deux attaquants, Quique Setien (ou Messi ?) aura préféré décaler Arturo Vidal sur le côté droit pour garder une organisation tactique tellement ancrée par Pep Guardiola dans les années 2010 que toute autre idée passerait pour de l’hérésie. Eric Abidal, désormais en charge du recrutement, s’est d’ailleurs essayé à faire bouger les choses avec des déclarations en ce sens mais le résultat aura été une convocation au bureau des dirigeants qu’Abidal est pourtant censé incarner. Griezmann n’a pas forcément besoin d’un pivot à côté de lui, et l’idée qu’il doit absolument être aligné à côté d’un attaquant plus grand par la taille est erronée, encore plus dans un effectif de la qualité du FC Barcelone, mais Griezmann a besoin d’évoluer dans une zone où il pourra peser constamment et partager les espaces. C’est-à-dire dans l’axe au sein d’un 4-4-2 avec Messi sur le front de l’attaque, Ansu Fati dans le couloir gauche et même le bon Vidal dans le couloir droit. Ce que Messi n’accepte pas. Au final et après une petite année en terre catalane le constat est décevant mais pas irrévocable puisque le système tactique comme l’envie de gagner ensemble peuvent s’accroitre au fil des mois. Griezmann l’a déjà annoncé il souhaite rester à Barcelone pour s’imposer mais si la situation venait à perdurer il faudrait alors envisager une porte de sortie que le Français n’aurait certainement pas de mal à trouver. Le PSG notamment s’était déjà renseigné sans entrer dans la danse, et puisque Thomas Tuchel a découvert le 4-4-2 et risque de perdre Mauro Icardi comme Edinson Cavani à la fin de la saison ce pourrait être une piste sérieuse. D’autant plus que Grizou y retrouverait son compère des Bleus Kylian Mbappé, une autre star mais avec onze ans et six ballons d’Or de moins que Leo Messi.

Emmanuel Trumer