Marcelo Bielsa, fou de jeu

Arrivé en Angleterre par la petite porte et un club de Leeds qui n’avait plus connu l’élite du championnat anglais depuis seize longues années, Marcelo Bielsa est parvenu à remporter le Championship, l’équivalent de la deuxième division, pour faire remonter son club et par la même occasion réussir un premier tour de force. Un début, puisque désormais le célèbre entraineur argentin écume les terrains de première division avec la même philosophie, qui le caractérise depuis ses débuts, et que l’on disait pourtant incompatible avec le football anglais. Ce qu’il se dit, Marcelo Bielsa n’en a cure. Convaincu par ses méthodes et sa vision du foot, El Loco est en train de réussir son deuxième pari à savoir maintenir le club parmi l’élite du football anglais. Avant de viser encore plus haut ? 

Le pari pouvait sembler dangereux pour un entraîneur qui n’a plus à prouver dans le milieu du football, mais qui n’a jamais abordé sa carrière comme une mise en avant de sa personne et de l’image qu’il pouvait renvoyer. Conforté dans l’idée qu’il pourrait travailler sereinement et installer ses idées dans le club de Leeds, Bielsa s’est lancé dans un projet périlleux qui est en train de grandir encore un peu plus celui qui est souvent pris en modèle par les plus grands entraîneurs de la planète. Après avoir remporté le titre en deuxième division, Marcelo Bielsa est désormais en train de prouver qu’il est possible d’appliquer sa vision du football et ses méthodes dans un contexte pourtant peu favorable.

C’était déjà le cas en Championship, à un échelon où beaucoup d’équipes privilégient le jeu direct sans s’encombrer avec la construction ou la possession du ballon, et c’est également le cas en Premier League. Actuellement 11e du championnat, l’équipe de Bielsa se retrouve en bien meilleure position que les deux autres promus : West Bromwich Albion (19e) et Fulham (18e). Quasiment maintenu pour la prochaine saison, Bielsa montre que ce sont ses idées et ses méthodes qui permettent d’obtenir des résultats.

Tandis que West Brom ou Fulham proposent un jeu complètement différent, avec un bloc équipe bas et l’idée de contrer leurs adversaires, Leeds joue comme s’il possédait un effectif armé pour jouer les premiers rôles du championnat le plus relevé du monde à l’heure actuelle. Les principes de Marcelo Bielsa sont connus : avoir la possession du ballon, demander à ses joueurs de jouer court, être actif dès la perte de la balle. Un jeu basé sur le mouvement que l’on a évoqué avec Pep Guardiola et qui prend ses racines ici, chez le génial argentin. Bielsa est un des modèles de l’entraîneur catalan et ce n’est pas étonnant si l’on retrouve des similitudes entre ces deux visions du football. Dans le schéma appliqué, Bielsa ne bouge pas cette saison avec un 4-2-3-1 que l’on retrouve également à Manchester City. Bamford étant un attaquant de pointe comblé à Leeds puisque le prolifique anglais en est déjà à 14 réalisations (4e meilleur buteur du championnat) tandis que l’une des rares recrues, Rodrigo, lui sert de soutien un cran plus bas.

Le romantisme au détriment du réalisme : l’argument ne tient plus 

Dans un championnat où les clubs recrutent à tour de bras, avec des moyens faramineux, Leeds et Marcelo Bielsa se sont contentés de quelques ajustements seulement avec l’arrivée de Rodrigo donc, de Raphinha en provenance de Rennes dans le couloir droit de l’attaque, et du défenseur central Diego Llorente. Sans moyens mais avec des idées, Marcelo Bielsa est en train de prouver de fort belle manière que le football est encore un sport qui se pratique avec la tête. Des idées, des convictions, et une appétence pour la progression de ses joueurs sont des valeurs intangibles chez l’entraîneur argentin, pour le plus grand bonheur du club de Leeds qui espère prolonger l’aventure avec El Loco et dont le maintien va certainement permettre d’avoir de plus grandes ambitions l’année prochaine en Premier League. Pour ses fans c’est la juste récompense de son génie, pour ses détracteurs il n’y plus grand chose à dire. Si Marcelo Bielsa ne dit pas bonjour, seul argument qui lui a parfois été opposé par les imbéciles, les amoureux du football connaissent son apport et les émotions qu’il procure.

Une idée que le technicien place également au coeur de ses prérogatives, avec une volonté irrépressible de jouer pour les supporters avec un devoir de spectacle qui est particulièrement appréciable dans un milieu ou bon nombre d’entraîneurs pensent qu’il s’agit de fantaisie. En réalité Marcelo Bielsa incarne le football, un sport qu’il maitrise sur le bout des doigts et qu’il permet de faire évoluer. Nous sommes alors en droit de nous demander jusqu’où cela peut mener, avec un entraîneur qui a l’âme d’un formateur plus que d’un « manager » de stars notamment. En renforçant son équipe l’été prochain, grâce à la manne financière du maintien, l’avenir s’annonce radieux pour Leeds qui pourrait avoir des ambitions européennes en gardant cette stabilité et en y ajoutant quelques cartouches.

Un entraîneur incompris en France, dont les critiques sont désormais plus éparses, grâce à son travail fantastique en Angleterre. Un entraîneur dont le style de jeu est si rare qu’il est touchant, précieux, et qui doit perdurer avec les nouvelles générations. Un entraîneur à regarder, à étudier, pour comprendre que c’est par le jeu et les consignes que les résultats arrivent. Un entraîneur qui de toute façon n’a pas besoin de la reconnaissance globale pour continuer à faire son métier, qui inspire et donne envie de poursuivre dans cette voie. Fou de jeu, génie du football.

Emmanuel Trumer