Monaco, par-delà le bien et le mal

Actuellement troisième de Ligue 1, et encore en course pour le titre de Champion de France, l’AS Monaco vit une saison intéressante. Les ambitions retrouvées du club de la Principauté permettent de dresser un constat favorable sur les performances affichées ces derniers mois, mais quelques petits réglages peuvent encore interroger et notamment l’approche tactique d’un entraîneur comme Niko Kovac, dont il ne faudrait surtout pas oublier les mérites par ailleurs. Serein, à l’aise dans ses interventions médiatiques, l’ancien entraîneur du Bayern Munich a ramené le calme sur le Rocher et si son aventure monégasque est désormais bien lancée, il pourrait tout de même se pencher sur quelques problèmes dans son appréhension des matches. Plus particulièrement sur le contexte des adversaires à aborder, des oppositions dont il a déjà parlé et regretté l’ambition, mais que lui-même pourrait approcher d’une meilleure manière. Retour sur une saison d’ores et déjà réussie, et qui pourrait se transformer en véritable chef d’oeuvre avec quelques ajustements. 

Arrivé sur le Rocher de Monaco pour se relancer après une aventure ratée au Bayern Munich, Niko Kovac est en entraîneur qui est en train de prouver qu’il a des idées à revendre et la capacité de gérer un groupe fourni comme celui de l’ASM. Plus malléable que celui du géant bavarois certes, le vestiaire monégasque permet au technicien d’expérimenter différentes choses et de ne pas se laisser déborder par des égos surdimensionnés. A l’écoute, ses joueurs semblent apprécier les méthodes de travail, et le groupe parait parfaitement concerné par le projet et les ambitions retrouvées du club. Il faut le dire d’emblée, l’effectif de Monaco est armé afin de lutter pour le podium. Mais les précédentes expériences ont été si laborieuses que l’arrivée de Kovac apparait à juste titre comme une bouffée d’air frais, et si les résultats sont positifs il ne faudrait pas non plus oublier que Monaco peut aller encore plus haut et encore plus loin dans une saison où le PSG a déjà concédé huit défaites et se retrouve à un petit point devant à six journées de la fin. Dans ses déclarations publiques, Niko Kovac a longtemps feint le manque d’ambition avec une 4e place qui convenait parfaitement à l’entraîneur et à son club. Aujourd’hui Monaco ne peut plus se cacher et si le discours a été revu à la hausse, la manière de le mettre en pratique sur le terrain pourrait également l’être. Pour comprendre les axes de progression possibles à l’AS Monaco, il faut déjà se pencher sur l’approche philosophique et la vision du football du technicien Niko Kovac. N’étant pas buté sur un schéma précis, qui serait inamovible, l’entraîneur possède différentes cartouches pour aborder ses matches et sa conception du foot est plaisante avec l’envie de faire le jeu, d’imprimer quelque chose, plutôt que de subir. Le fait de pouvoir disposer de différents schémas tactiques tout comme l’envie de proposer un jeu attrayant sont des idées particulièrement plaisantes mais ne suffisent pas à gagner des trophées. Encore faut-il pouvoir les appliquer à bon escient et être capable de prendre en compte la particularité de l’adversaire pour y opposer le meilleur choix.

Cette saison, Monaco a vu apparaitre trois schémas tactiques différents qui ont tous des particularités bien spécifiques. A son arrivée, Kovac s’est d’abord lancé dans un 4-3-3 plutôt classique mais cette idée n’a pu fonctionner et perdurer pour plusieurs raisons : le manque de créativité au milieu avec Florentino Luis, Aurélien Tchouameni, et Youssouf Fofana, trois profils de milieu récupérateur et si Cesc Fabregas ou Alexsandr Golovin pouvaient entrer dans ce milieu pour combler ce manque technique, Kovac s’est également rendu compte que son effectif était particulièrement fourni au rayon des attaquants et qu’un joueur comme Wissan Ben Yedder devait être soutenu par un autre joueur pour mieux exister. Deux schémas différents ont alors émergés, un 3-4-3 et un 4-4-2. Dans le 3-4-3 les couloirs sont animés par Caio Henrique à gauche et Ruben Aguilar à droite, les deux milieux axiaux sont Tchouameni et Fofana, la défense centrale est composée de Badiashile, Maripan et Disasi ou Sidibé, tandis que l’attaque est occupée par Diop et Jovetic ou Volland en soutien de Ben Yedder. C’est notamment ce schéma qui a permis à Monaco de s’imposer à Paris contre le PSG. Pour le 4-4-2, Jovetic, Volland, et Ben Yedder se disputent les deux places devant, les deux milieux axiaux ne changent pas (Tchouameni – Fofana), les couloirs sont animés au choix par Diop, Golovin, Martins, Diatta, ou encore Fabregas. En défense, on retrouve une défense à 4 à plat avec Maripan accompagné de Disasi, Caio Henrique comme latéral gauche, et Ruben Aguilar ou Djibril Sidibé comme latéral droit. Plus offensif, ce schéma permet d’avoir une présence plus importante devant. Deux ailiers, deux attaquants, et deux latéraux qui ne sont pas privés de montées dans leur couloir.

Différents schémas à utiliser dans le bon contexte 

Ces deux schémas offrent des possibilités différentes, et si Monaco est parvenu à s’imposer  à l’extérieur contre le PSG en 3-4-3, mais connait également des difficulté dans ce même sytème face à des adversaires plus regroupés ce n’est absolument pas un hasard. Cette idée tactique permet d’avoir une assise défensive plus importante puisque sans ballon l’équipe monégasque se retrouve en 5-4-1 avec Caio Henrique et Aguilar qui viennent prêter main forte aux trois défenseurs centraux tandis que Diop et Volland (ou Jovetic) viennent aider Thcouameni et Fofana. Peu d’espace pour l’adversaire, et un PSG qui a eu la possession du ballon mais qui n’avait pas encore aligné la puissance offensive (en nombre) aperçue à Munich et qui s’est donc noyé face à cette organisation intelligente. Sur ses contres et ses phases de possession Monaco a libéré ses latéraux plus haut, Ben Yedder a été davantage soutenu dans l’axe également et l’ASM a pu frapper un grand coup. Mais ce contexte de match dans lequel Monaco est dominé par l’adversaire est très rare en Ligue 1. C’est ici que cela devient gênant car ce schéma particulier ne correspond pas à toutes les situations. Prenons désormais l’exemple du match récent et de la victoire 3-0 acquise face à Dijon : installé dans ce même schéma, Monaco a pataugé pendant 45 minutes avant de changer son plan à la pause et d’inscrire deux buts en vingt minutes pour tuer son adversaire. Dans un contexte ou Monaco a la possession du ballon (80% par séquences face à Dijon) l’utilité du 3-4-3 mis en place par Kovac laisse perplexe et c’est lorsqu’il a utilisé le 4-4-2 que l’ASM a pu se montrer bien plus dangereux et a pu trouver la faille. Aguilar dans un rôle de piston droit peine à apporter offensivement et même si Caio Henrique semble plus à l’aise dans ce domaine de l’autre côté du terrain, l’absence d’ailier empêche Monaco d’amener du nombre dans toutes les zones du terrain.

A la mi-temps, Kovac a sorti Aguilar et Diop pour faire entrer Fabregas et Ben Yedder. Sur le terrain cela s’est matérialisé par une organisation différente : Sidibé a été décalé de 3e défenseur central à latéral droit laissant Maripan et Disasi en défense centrale, Golovin s’est positionné comme milieu droit, Fabregas comme milieu gauche reléguant Caio un cran plus bas comme latéral gauche, et Ben Yedder s’est installé en pointe à côté de Jovetic. Caio – Fabregas à gauche, Sidibé – Golovin à droite, Ben Yedder – Jovetic devant assemblent une idée bien plus intéressante pour peser face à un bloc bas et le résultat s’est immédiatement fait sentir avec deux buts inscrits en vingt minutes. C’est dans cette seconde idée (4-4-2) que Monaco doit aborder la plupart de ses matches en Ligue 1, face à des adversaires plus faibles qui vont tenter de réduire les espaces dans leur moitié de terrain. La maitrise d’un autre schéma comme le 3-4-3 est une très bonne chose, tout simplement car il est important de pouvoir faire face à différents contextes de match, mais ce plan doit être réservé aux rencontres où Monaco sera moins dans cette position dominante. Aguilar n’a pas les qualités d’un ailier, et s’il répond parfaitement a un besoin défensif dans une zone ou Sidibé peut se louper, il n’a pas le profil pour animer un couloir dans la moitié de terrain adverse. Il faut donc choisir entre lui et Sidibé au poste de latéral droit, oublier la défense à trois dans l’axe pour passer à quatre à plat, et confier le poste de milieu droit à un joueur comme Golovin, Gelson Martins, ou Diatta. Des joueurs capables d’apporter de la percussion balle au pied, de trouver les deux attaquants axiaux par des passes, ou de frapper de loin. Même idée à gauche avec Diop qui a une longueur d’avance mais que ce soit Golovin, Martins, ou Diatta, tous peuvent également occuper ce poste de milieu gauche. Devant Jovetic et Volland semblent actuellement avoir la préférence de Kovac mais un joueur comme Ben Yedder apporte cette touche technique précieuse dans les espaces réduits face à des défenses regroupées.

Savoir soi-même réduire les espaces dans sa moitié de terrain et se projeter rapidement en 3-4-3, savoir occuper la moitié de terrain adverse et peser offensivement en 4-4-2 dans des rencontres plus abordables, les deux concepts sont précieux mais Niko Kovac doit désormais prendre conscience qu’ils ne sont pas à utiliser au hasard et selon la forme de ses joueurs mais surtout selon un contexte de match. Un entraîneur dont la vision du foot est tout de même l’une des plus plaisantes en Ligue 1, et dont la capacité à appliquer plusieurs schémas est particulièrement séduisante. Reste à montrer que cette maitrise et cette connaissance sont utilisés au bon moment, pour parvenir à faire de cette belle équipe un ogre encore plus dangereux.

Emmanuel Trumer